Faut-il changer l’ampoule ?

Publié le par transmis par Georges

 

 







Incandescence ou faible consommation ? Les spécialistes devraient y réfléchir à deux fois avant de trancher

A vis ou à baïonnette, claires ou perlées, incandescentes ou fluorescentes : le marché des ampoules électriques est immense. Le voici menacé : il est question d’interdire progressivement les lampes à incandescence – lesquelles ont certes le mérite d’être bon marché, mais le défaut d’avoir un très mauvais rendement. Avec une ampoule « à basse consommation », on peut, dit-on, être éclairé tout autant en consommant quatre ou cinq fois moins d’énergie. En contrepartie, ces ampoules coûtent certes quatre ou cinq fois plus cher, mais elles fonctionnent beaucoup plus longtemps – à condition, bien sûr, de ne pas les manipuler constamment, car c’est la succession des extinctions-allumages qui les use surtout.

Sans attendre que les autorités européennes rendent obligatoires les nouvelles ampoules, certaines grandes entreprises ont déjà remplacé toutes les ampoules de leurs bureaux et annexes. Problème : ces lampes doivent « chauffer » un certain temps avant de donner tout l’éclat de leur puissance. D’où des conséquences inattendues. Les couloirs sombres et peu usités, que l’on éclairait seulement pour passer, restent allumés du matin au soir : les nouvelles ampoules ne commencent réellement à éclairer qu’au moment où l’on en sort ... Même obligation pour les WC, dorénavant allumés en permanence alors qu’autrefois, sauf négligence coupable, chacun en éteignait les parties communes et particulières en sortant.

Mais c’est tout à fait normal, rétorque un grand spécialiste des économies d’énergie : « ces ampoules ne doivent pas être constamment manipulées, et vos voisins d’étage ont tout à fait raison de ne pas les éteindre tout le temps ». Mais alors, si ces ampoules consomment cinq fois moins mais fonctionnent dix fois plus, où est le gain (hors celui des professionnels de l’éclairage) ? C’est vrai, dit notre spécialiste, c’est vrai, mais ces ampoules ont quand même le grand mérite « intrinsèque » d’économiser l’énergie ...

Là, on change de registre, passant de celui de la logique à celui de la religion, avec ses rites et ses devoirs. Que l’on n’économise pas d’électricité, peut-être. C’est l’intention qui compte. Ne serait-il pas plus raisonnable, pourtant, d’étoffer un peu le nouveau catéchisme et de décréter que, jusqu’à nouvel ordre, l’utilisation des ampoules à basse consommation, qui ont de grands mérites, est néanmoins un péché et doit être interdite pour tous usages intermittents, couloirs, cages d’escaliers, WC et minuteries ?

Il est vrai que si l’on accepte cette exception, il n’est plus possible d’interdire les ampoules à incandescence comme on le prévoit à Bruxelles, et maintenant à Paris. Serait-ce si grave ? Certes, une ampoule à incandescence « perd » 95 % de l’énergie électrique qui l’alimente. Mais elle la perd en chaleur ! Elle réchauffe la pièce pour 95 %, et ne l’éclaire que pour 5 % de sa consommation. Cette contribution au réchauffement de l’atmosphère n’est pas si mal venue l’hiver, et même en demi-saison, où l’on chauffe un peu (de sorte que l’éclairage devrait suffire !). Mais l’été ? Il fait encore jour le soir et l’on n’allume plus ...

Quand la chaleur de la pièce est réglée par thermostat, le résultat est tout à fait clair : avec une ampoule à incandescence, le thermostat est moins souvent sollicité qu’avec une ampoule à basse consommation, et on économise du chauffage. Sans thermostat, le réglage est sans doute moins fin mais le phénomène reste le même : ce que l’on perd en lumière est regagné en chaleur. C’est donc seulement quand le réchauffement est fâcheux, ou seulement inutile, que l’ampoule à basse consommation prend son intérêt (pour autant qu’il ne s’agisse pas d’usages intermittents) : éclairages extérieurs, éclairage d’été dans une pièce climatisée, éclairage durable de pièces volontairement non chauffées, etc. Quant aux grands magasins et bureaux modernes, et aux futures maisons « à énergie zéro », il faut faire le bilan entre ce que la lampe à incandescence économise à l’achat et fait gagner en chauffage l’hiver, et ce qu’elle fait perdre en climatisation l’été.

L’utilisation des ampoules à basse consommation requiert donc l’emploi parallèle d’un peu de matière grise. Ces ampoules ont déjà un large domaine d’utilité réelle et donc un marché naturel qui leur assure un bel avenir. Mais, en l’état actuel des techniques, on ne peut les prescrire, et a fortiori interdire les autres, sans avoir réfléchi aux effets secondaires des usages intermittents, et à ce qu’est l’énergie « perdue » de la lampe à incandescence. Sauf à penser que nos contemporains sont si bêtes et indisciplinés qu’il faut leur imposer une règle très simple, serait-elle simpliste et contre-productive. Au prétexte que si on n’y gagne rien, si même on y perd, ça va quand-même dans le bon sens ...

Faut-il souligner, au surplus, qu’au plan de l’écologie, c’est l’effet de serre qui importe en matière énergétique, pas l’économie d’énergie en elle-même, qui ne se justifie que comme moyen et comme symbole d’un mode de vie plus sobre (et là il y a à faire !) : le monde aura manqué de bien d’autres ressources rares, eau, terre arable, phosphore et autres substances limitées, avant de manquer vraiment d’énergie. Or les ampoules à basse consommation sont notamment plus chères que leurs soeurs à incandescence parce qu’elles contiennent des substances rares et dont les déchets toxiques devront être gérés avec attention.

De sorte que si, contre toute raison, les prédicateurs de l’ampoule à basse consommation réussissent à propager leur foi au point de mener prématurément au bûcher toutes nos bonnes vieilles ampoules d’autrefois, il se peut que, dans l’avenir, un génial inventeur découvre un jour, pour un nombre notable d’usages, un type d’ampoule miraculeux, très bon marché, pratiquement sans déchet, et qui, en plus, chauffe les appartements l’hiver : la lampe à incandescence ! Mais peut-être, entre temps, aura-t-on trouvé encore mieux ?

Sources : TENDANCES… dans le numéro du 26 mars 2009 de Valeurs Actuelles

Par Marcel Boiteux

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